« Proposer des espaces plus adaptables, moins standardisés et intensifier les usages de la ville »

Expert•e•s, Travaux

Les 11 et 12 décembre, la Convention citoyenne de Nantes a auditionné 35 expertes et experts sous forme de speed-dating d’une demi-heure. Parmi ceux-ci, les architectes-urbanistes Frédéric Bonnet de l’agence Obras et Sylvain Grisot de l’agence Dixit se sont prêtés au jeu des questions des citoyens à propos de la ville et de sa conception. Extrait d’une partie des échanges.

Une ville à nouveau désirable ?

Sylvain Grisot : « La ville c’est la proximité : le lien aux services, des transports en commun, la possibilité de vivre sans voiture, avec un impact positif pour l’environnement. Avec l’étalement urbain, on a consommé l’équivalent d’un département en 20 ans. Il faut au contraire enfin faire la ville sur la ville : mieux utiliser ce que l’on a, recycler les friches, intensifier les usages de l’existant. Réduire aussi le stationnement et les infrastructures automobiles en ville pour dédier ces espaces à d’autres usages : des logements qui fassent envie, des espaces publics, le plus de nature possible. »

Frédéric Bonnet : « La qualité de la conception des espaces publics peut permettre de développer de la convivialité et une ville désirable… ou pas. Les places de marché, les parvis d’école ou de crèche, peuvent être de vrais lieux de rencontre. On peut réaliser des espaces souples, capables d’accueillir différents usages, et laisser de la place à l’informel qui concourt aussi à la ville « sympathique ». Si on gagne de la place sur la voiture, on gagne en convivialité. Les enfants, les personnes à mobilité réduite, les personnes âgées ont peu de place aujourd’hui dans la ville. »

Standardisation et hausse du prix des logements

F.B. : « Les logements de plus en plus standardisés, c’est lié à une logique financière, sans prise de risque et qui nivelle par le bas la qualité. Cette standardisation a tendance à passer en mode défensif. Quand on conçoit un immeuble avec un ascenseur qui arrive directement dans le parking, ça ne favorise pas les liens. Mais attention, la normalisation de l’espace est aussi le résultat de choix collectifs ! »

S.G. : « Aujourd’hui, le schéma classique, c’est être étudiant et avoir son premier emploi dans le centre-ville, puis migrer en périphérie parce qu’on ne peut pas se payer la proximité. La défiscalisation crée aussi surtout du T2-T3. Ces dernières années Rennes a réussi à maintenir les prix mais pas Nantes : il y a eu baisse de la construction et hausse des prix. »

Modes d’habitat alternatifs

S.G. : « La ville a toujours accueilli sur ses franges moins régulées des modes de vie alternatifs. La question est comment on adapte au mieux la ville pour qu’elle apporte le plus de capacités à vivre différemment : en tiny house, en yourte, en caravane… La ville doit être gérée pour accueillir TOUS ceux qui y vivent. »

Plus de nature en ville

F.B. : « Aujourd’hui, la question d’avenir, c’est le confort d’été : comment faire pour ne pas avoir trop chaud et supprimer la clim ? La végétalisation est un élément majeur. Plus on a de voiture, moins on a de végétation, c’est valable à la surface comme en sous sol. Pour végétaliser convenablement, il faut de la terre. Il faut aussi que les bâtiments soient conçus avec des hauteurs raisonnables pour que la biodiversité puisse s’installer. »

Des transports en commun gratuits ?

S.G. : « Je suis pour la gratuité le week-end comme Nantes Métropole va le proposer mais pas nécessairement pour la gratuité totale, hormis la tarification sociale. Tout dépend des spécificités du territoire. A Nantes, il va falloir investir massivement dans les transports en commun comme alternative à la voiture dans les prochaines années et il faut des rentrées financières pour cela : il faut par exemple relier la zone de l’aéroport au centre-ville, c’est une grosse zone d’emplois. »

Place de la marche à pied et du vélo

F.B. : « Le vélo et la marche à pied sont les modes de déplacements les plus économiques qui soient. Il faut savoir qu’en ville, une voiture va en moyenne entre 15 et 18 km/heure. Le vélo va plus vite ! Mais la ville n’est pas faite pour ça pour l’instant. Les zones 30, c’est un bon début ; il faut aussi mieux hiérarchiser la voirie. »

S.G. : « Quand on vit au centre-ville, on peut vivre sans voiture. Une voiture en ville crée plusieurs places de parking : près du logement, du travail, alors qu’on ne l’utilise que 5% du temps. Aujourd’hui, il se vend 10 fois plus de vélos électriques que de voitures électriques, il y a de l’espoir ! »

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Légende photo :

Frédéric Bonnet, architecte-urbaniste. Sur le territoire de Nantes Métropole, il est en charge du projet urbain de Pirmil-les Isles. Sylvain Grisot est urbaniste, il vient de publier le « Manifeste pour un urbanisme circulaire ».