« Aiguiser l’esprit critique, croiser les sources, être co-responsables de la vérité »

Expert•e•s, Travaux

Les 11 et 12 décembre, la convention citoyenne de Nantes a auditionné 36 experts sous forme de speed-dating d’une demi-heure. Parmi eux, Marc Jahjah, Merwann Abboud et Thibault Dumas se sont prêtés au jeu des questions des citoyen·ne·s à propos du décryptage de l’information en temps de covid, des fake-news et de la défiance vis-à-vis des médias. Extraits des échanges.

Vérité et confiance

Marc Jahjah, maître de conférence en sciences de l’éducation à l’université de Nantes : « Il faut reconsidérer la vérité comme un bien commun fragile dont on est co-responsable, mettre de l’énergie ensemble à construire des écosystèmes de la confiance, ne pas laisser ça entre les mains du gouvernement ou d’une institution. Il faut aussi reconnaître que toute vérité fait l’objet de luttes d’influences : pouvoir les représenter et comprendre les moyens utilisés dans ces luttes. »

Défiance

Merwann Abboud, coordinateur de l’association Fragil : « La défiance n’a pas attendu la pandémie, elle est très forte depuis les Gilets jaunes. La défiance est aussi décuplée par les réseaux sociaux, qui nous apportent du contenu mais en restant dans une bulle d’influence. L’enjeu, c’est comment arriver à sortir de sa bulle d’influence. »

Confiance dans les médias

Thibaut Dumas, journaliste, président du Club de la presse de Nantes : « La proximité des journalistes avec le pouvoir politique a diminué : peu de médias sont complaisants, le politique a perdu du terrain. Concernant l’impact de la propriété des médias par des groupes économiques, il existe une charte de déontologie. Il y a aussi une diversité de médias aujourd’hui avec l’apparition des médias en ligne, financés par leur lectorat pour plus d’éthique, plus de constance. »

M.A. : « En France on a la chance d’avoir une pluralité de la presse. Aujourd’hui, on a des abonnements financés par les lecteurs, on a aussi des « pure player » comme Brut ou Kombini. »

Fake news

T.D. : « Les fake news sont plus plus fortes car nous sommes dans une période tourmentée. Et la complexité est toujours moins audible que la simplicité d’une vidéo de 1 minute. Mais la rumeur a toujours existé : c’est à nous, journalistes, de chercher l’information et de croiser les sources. La différence aujourd’hui, c’est la caisse de résonance des réseaux sociaux. »

M.A. : « Pour débusquer les fake-news sur les réseaux, on a des trucs : un article de presse ne doit pas vous retenir par l’émotion qu’il délivre par exemple. Il y a moyen de vérifier la véracité des informations (Decodex) ainsi que des photos (avec Google inversé par exemple). Il existe beaucoup de “fact cheking” . »

M.J. : « Une fake news est toujours reliée à d’autres. Dès qu’on en valide une, on contribue à alimenter le système. Un des enjeux, c’est de comprendre aussi les “mutations de sens” des fake-news. C’est une période déstabilisante et effrayante sur ces sujets, mais aussi passionnante : on est en train de réapprendre à se parler, à recréer du sens commun. »

Les jeunes et l’information

M.J. : « Des études ont montré que des adolescents partagent des fausses informations tout en sachant qu’elles sont fausses. C’est sans intention de nuire, plutôt pour s’amuser et maintenir des liens sociaux. Mais cela peut générer ensuite des effets non anticipés. »

M.A. : « Notre but, c’est d’aiguiser l’esprit critique des jeunes. On revient toujours à la déontologie journalistique. On intervient sous forme de jeux, c’est par des ateliers ludiques qu’on les amène à réfléchir. Notre posture, celle de l’éducation populaire, c’est de faire émerger l’intelligence collective et le savoir. Donc les jeunes ne se braquent pas contre nous. Et si on a un mur de méfiance, il faut exiger des preuves. »

Les seniors et l’information

M.A. : « Nantes Métropole peut faire beaucoup de choses en terme d’éducation aux médias. Sur Nantes, c’est d’ailleurs assez développé. Il y a aussi de plus en plus de pépinières jeunesse. Mais on pourrait envisager des pépinières seniors, des lieux ressources avec des ateliers sur l’utilisation d’un ordinateur, les fake news… »

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Légende photo :
Merwann Abboud est coordinateur de l’association d’éducation aux médias Fragil. Marc Jahjah est maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université de Nantes. Manque la photo de Thibault Dumas est journaliste, président du Club de la Presse de Nantes Atlantique.