« Coordonner les initiatives et redonner du pouvoir d’agir aux habitant⸱e⸱s »

Expert•e•s, Travaux

Audition de Karen Burban-Evain et Sophie Razavi

Le 3 décembre, la convention citoyenne de Nantes a auditionné ses premiers expert⸱e⸱s. Elle a ciblé le thème des inégalités et de la précarité et invité Karen Burban-Evain, directrice de l’action sociale et du CCAS de Nantes et Sophie Razavi, membre du Marché Alternatif de Bellevue. Aux côtés du sociologue François Dubet et de l’économiste Hervé Guéry, elles se sont prêtées au questionnement des citoyens quant à l’impact de la crise sur la situation sociale.

Quels impacts sociaux de la crise Covid-19 avez-vous repéré à Nantes ?

Karen Burban-Evain : La crise a mis en lumière des inégalités pré-existantes : les conditions de logement, les conditions d’éducation des enfants. L’isolement de nombreux habitant⸱e⸱s a aussi été évident. Même si les dispositifs sociaux comme le chômage partiel ont permis d’amortir le choc, on a vu de nouvelles familles se tourner vers l’aide alimentaire. Les dispositifs de crise ont permis de soutenir de nouveaux publics : commerçants, travailleurs indépendants, qui n’ont pas l’habitude de nous solliciter. Le confinement a aussi favorisé l’émergence d’initiatives dans les quartiers et mobilisé des habitant⸱e⸱s volontaires pour aider. La Ville a coordonné l’offre et la demande en créant la plateforme de mise en relation Nantes Entraide. Enfin, je note que les services de l’État ont fait un effort de mise à l’abri des plus précaires, migrants ou SDF, en créant 500 nouvelles places d’hébergement sur la métropole.

Le Marché alternatif de Bellevue est né au premier confinement. De quoi s’agit-il ?

Sophie Razavi : Début avril, le Comptoir des Alouettes, une épicerie associative qui récupère fruits et légumes invendus auprès du MIN et des supermarchés, avait trop de marchandise. Des volontaires ont pris le relais à travers ce marché alternatif pour récupérer les invendus, les trier, les cuisiner et préparer des paniers alimentaires. L’après-midi, au centre social du Jamet, on assurait les distributions à des habitant⸱e⸱s de Bellevue, du Breil ou des Dervallières, orientés par le CCAS. Puis, on a capté les « invisibles » par le bouche à oreille. Rapidement on a élargi au delà des paniers, en invitant des associations : Les Forges en médiation santé, Nouvelles Voies pour l’accès aux droits, les Francas pour l’aide aux devoirs. Nous avons aussi mobilisé les bénéficiaires pour devenir bénévoles. Pour tout le monde, c’était une vraie bouffée d’oxygène ! On poursuit ce marché et en 8 mois, on a touché près de 1500 personnes.

Quel rôle peut jouer la métropole au plan social et avec quelles priorités ?

K.B-E. : Ce sont plutôt les communes qui agissent dans ce domaine. Pour le CCAS de Nantes, c’est un budget annuel de plus de 2 millions d’euros consacré aux aides individuelles. Avec la crise, plus d’un million d’euros a été ajouté pour soutenir les ménages nantais ayant habituellement des enfants fréquentant la cantine et un autre million pour les locataires de la Métropole. En termes de priorités, il faudrait déjà démystifier les services sociaux pour permettre aux nouveaux publics de solliciter une aide sans se sentir stigmatisés. Nous devons aussi redonner aux habitants leur pouvoir d’agir, de participer à la solidarité, notamment via la plateforme Nantes Entraide. Il faut aussi mieux outiller les associations de proximité dans les quartiers : les accompagner collectivement en terme de logistique, en faire des relais de proximité pour l’accès aux droits. Au plan métropolitain, on peut par exemple inciter les supermarchés à se mettre autour de la table avec les associations et construire ensemble des dispositifs locaux sur les invendus alimentaires.

S.R. : On souhaite la mise en place d’une régie publique pour les invendus, avec une gouvernance horizontale incluant les associations et les bénéficiaires. On pourrait alors essaimer dans d’autres quartiers. Il faut aussi réussir l’enjeu de la pérennisation des emplois dans les associations, acteurs majeurs du domaine social. Plus largement, je pense qu’il y a un « combat de l’imaginaire » à mener pour mieux impliquer les bénéficiaires et intéresser les jeunes. En se focalisant sur la problématique écologique, on s’est rendu compte au Marché alternatif de Bellevue qu’on pouvait redonner du sens à notre action, transformer nos pratiques et rêver de nouveau. Alors j’ai envie de dire à la Convention citoyenne de Nantes : « A partir de vos envies, hiérarchisez vos valeurs et repensez les problèmes pour trouver les bonnes solutions ! »

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En savoir plus :
• Aides sociales du CCAS
• Le Marché alternatif de Bellevue : contact sur collectif.mab@mailo.com

 


 Le Marché alternatif de Bellevue a soutenu les ménages les plus fragilisés durant la crise Covid-19.