Le 23 janvier 2021, la convention citoyenne de Nantes a auditionné 8 expertes et experts sur des thématiques complémentaires à celles des speed-dating de la session 2 de décembre : culture, jeunesse, santé et nouvelles formes d’engagement. Parmi eux, la psychosociologue Joëlle Bordet et Simon Oliveau, le président de l’Interasso de Nantes, se sont exprimés sur la situation de la jeunesse dans la crise Covid, en réponse aux questions des citoyen·ne·s. Extrait des échanges.
Situation des jeunes dans la crise COVID
Joëlle Bordet : « Dans une étude, nous venons d’écouter 43 professionnels de 17 sites en France sur la manière dont les jeunes vivent la crise. Ils nous disent qu’il y a à la fois un renforcement de l’hyper-individualisme pour survivre et un développement très large de la solidarité avec beaucoup de mobilisations locales de jeunes. A l’image de 70 jeunes à Saint-Denis sur l’aide alimentaire, d’une chaîne You Tube créée par des jeunes à Dieppe pour se parler entre habitants… »
Simon Oliveau : « Les étudiants se sont adaptés au premier confinement mais ils sont arrivés fragilisés à la rentrée septembre : plus de petits boulots, moins de jobs d’été… A la rentrée, le masque n’a pas permis de créer du lien facilement et le 2e confinement est arrivé. Aujourd’hui, une enquête nationale nous dit que 23% des étudiants ont des envies suicidaires et d’1/3 se disent en détresse psychique. Beaucoup d’étudiants sont aussi en précarité financière. Quant au décrochage, on n’a pas de chiffres, on le verra bientôt avec les évaluations du premier semestre. »
Soutien psychologique pour les jeunes et leurs parents
S.O. : « Le chèque psychologique, c’est bien mais pas suffisant. On peut aller voir les assistants sociaux du CROUS pour être orienté, mais certains étudiant·e·s ont peur d’aller parler. La discussion de pair à pair est aussi importante : on pense à ouvrir une ligne d’écoute mais on doit d’abord former les écoutants. »
J.B. : « Il y a une grande différence de moyens selon là où vivent les jeunes. La demande est de plus en plus forte pour se sentir sécure en général. Mais au delà des séances chez un psychologue, c’est de médiations dont on a besoin, culture, sport…, surtout chez les jeunes. Le lien social est un élément central de la santé psychique : on risque de payer cher la différenciation que l’on a fait entre activités essentielles et non essentielles. »
Jeunesse sacrifiée : terme médiatique ou réalité ?
S.O. : « On a eu très peu de réponses aux demandes des étudiant·e·s de la part du gouvernement, d’autres secteurs étaient plus entendus. On commence tout juste à se faire entendre en ayant parlé de « jeunesse sacrifiée ». »
J.B. : « Je ne suis pas sûre que l’on puisse parler de jeunesse sacrifiée mais la crise arrive quand cette jeunesse naît au monde et la manière dont ils reçoivent cet événement au plan santé, alimentaire, logement… va être fondamental pour leur émancipation et leur prise d’autonomie. Et la perte de lien social va amener de vrais sacrifices. »
Solidarité intergénérationnelle
J.B. : « Je suis très perplexe sur le rapport intergénérationnel dans cette crise : il y a de la solidarité à construire avec tous les âges, il faut prendre en compte toutes les générations pour traverser la crise et ne pas vivre que dans l’épidémiologie sanitaire. Quel retour font les adultes aux jeunes de la solidarité dont ils ont fait preuve ? Et notamment dans les quartiers populaires ? On ne peut pas travailler avec les quartiers populaires sans s’interroger sur la circulation de l’argent et le rôle de l’argent en mode survie. Les jeunes des quartiers sont les plus pauvres, ils ne peuvent pas être bénévoles, il faut s’interroger sur le volontariat rémunéré. »
S.O. : « Pour le vaccin, on commence par les personnes âgées et à risque. En tant qu’étudiant, je n’ai pas de solution avant 2022. Or, le vaccin est un permis de circuler et la jeunesse a besoin de circuler pour ses stages, ses échanges. »
Inventivité et international
J.B. : « Les jeunes portent des choses très inventives dans les crises : il faut les écouter et accepter que le monde sera différent. Et il ne faut pas faire l’impasse sur l’international, c’est une chance d’avoir la possibilité d’échanges et de résonances sur la situation des jeunes dans le monde. »
Légende photo :
Joëlle Bordet est psychosociologue, membre du réseau international « Jeunes, inégalités sociales et périphéries ». Simon Oliveau, président de l’Interasso de Nantes qui regroupe 15 associations étudiantes nantaises.